PAMMY !! PAMMY !!

La foule hurle le nom de la sirène blonde, tous entassés dans les gradins espérant apercevoir celle qui illuminera leur soirée. L’ambiance chaude et électrique arrive à son apogée lorsque la musique démarre enfin. Le plateau jusque là perdu dans l’obscurité s’illumine, tailladé par d’énorme faisceau lumineux rose et blanc.

Le public en délire acclame. Les cris aigus fusent de partout, Pammy va enfin faire son entrée et faire rêver ses fans en se mettant en avant. Comme d’habitude. Les paillettes dégringolent du plafond dans une fine pluie étincelante sous l’effet des projecteurs. Le rythme entêté se fait plus rapide encore.

On peut enfin l’apercevoir, assise au centre de son cerceau argenté, jambes croisées dans une robe blanche décolletée. L’anneau descend lentement vers le plateau, suspendu à quelques fils invisibles.

Un sourire éclatant éclaire son visage. Une fois à niveau, elle pose un pied sur le sol rouge de façon gracieuse et s’avance avec énergie au centre du plateau. Micro en main, public en chaleur, un clin d’œil… Et tout démarre.

PAMMY -  Hey mes chéris, it’s Pam ! Only for you ! Je suis heureuse de vous retrouver ce soir pour
le come back de mon émission centrée sur moi pour vous…

Une petite pause, il faut faire languir le public. 

PAMMY - Je sais que vous m’avez attendue, moi votre Divine Pammy, durant de longues heures. Alors débutons sans plus attendre car ce soir… Je vous offre l’originalité !

Hurlement de la foule, sourire colgate de l’animatrice.

PAMMY -  Ce soir rien que pour vous, casting de folie avec …

Elle regarde sa fiche et hausse son sourcil droit, légèrement décontenancée.

PAMMY - Ce soir rien que pour vous sur mon plateau, une fille au pseudo prétentieux… J’ai nommé… FEYDRA ! 

Un roulement de tambour se fait entendre, accompagné d’une danse de lumière alors qu’un cercle lumineux s’inscrit sur le rideau rose au fond de la salle. Une fente se crée, le voile se lève.

L'ombre au milieu des paillettes et du clinquant. Feydra entre…  Elle fixe le bout de ses souliers avec une seule idée en tête : fuir. Pammy lui indique sa place d’un léger mouvement de la tête. Le public est silencieux, attentif. Feydra s’installe enfin.

PAMMY -  Ok chérie, si tu commençais par te présenter un peu. Mais n’en fais pas trop. Et puis ça m'importe peu...

Feydra se met à son aise, cligne des yeux sous la lumière trop forte des projecteurs et croise les mains sur ses genoux. 

FEYDRA - Que dire ? Je suis enseignante, mariée, deux enfants, deux chats. Depuis toujours, j’adore écrire. Adolescente, je passais mon temps à lire et à écrire. J’avais le rêve secret de devenir auteur et on m’a dit - très réalistement - que je n’en vivrais pas. En un sursaut de courage, je me suis remise très sérieusement à écrire en 2022 et j’ai rejoint l’Allée cette même année. Depuis, c’est devenu ma respiration et ma passion. Je crée des mondes et des personnages : quel pouvoir extraordinaire ! Sinon, je suis fan de tout ce qui est lié à l’imaginaire : jeux vidéos, jeux de rôle, livres, films, séries… Voilà, j’espère ne pas t’avoir trop ennuyée, Pammy. 

Pammy soupire avec exagération, lève les yeux au ciel et pince ses lèvres glossées pour exprimer son ennui. 

PAMMY - Que ne comprends-tu pas dans “n’en fais pas trop” ? Et ça se dit enseignante !

Elle rit et force le public à rire à son tour.

PAMMY - Je reprends donc, et veille à ne plus m’ennuyer, Fédrap ché-rie. D’accord ? Bien ! Ce soir, vous aurez le plaisir de tout savoir, que dis-je, tout apprendre sur un thème qui vous concerne : LA  BETA LECTURE et consort ! Honey, dis-moi tout en essayant de ne pas ternir ma gloire. Peux-tu nous dire en quelques mots ce qu’est une bêta-lecture ?

Feydra se redresse dans son fauteuil et toussote. 

FEYDRA - C’est la lecture d’un premier jet relu et corrigé, par des béta-lecteurs (connaissances, béta lecteurs pros, d’autres auteurs …), dans le but d’apporter un regard extérieur sur l’histoire : les personnages, l’intrigue, la cohérence, le rythme …

Le sourcil parfaitement taillé de Pammy se soulève. Elle soupire dans son micro et regarde son public avec lassitude avant de revenir sur Feydra.

PAMMY - et ça sert à quoi concrètement ? Parce qu’à part me débiter un flot de mots techniques, je vois pas bien où tu veux en venir. Premier jet de quoi ? Et pourquoi devrait-il être relu et corrigé ? Va plus loin, chérie, que cette définition toute faite de ce qu’attend instagram tu veux !

FEYDRA - Tu m’as dit en quelques mots ! … Bon bref … Écrire un roman est un travail solitaire. On est seul avec son histoire et ses personnages, qu’on maitrise sur le bout des doigts. Le premier jet est la première étape, celle où on écrit sans trop se soucier de peaufiner le texte. L’objectif, c’est de terminer l’histoire. Ensuite, une première relecture permet d’affiner des choses et de corriger l’expression, de traquer les répétitions. Pour certains auteurs, ces deux étapes sont faites en parallèle. La béta-lecture arrive ensuite.
On peut être satisfait de ce premier jet, et estimer qu’on n’a pas besoin de le reprendre. C’est le droit de tout auteur/autrice. Mais quand on souhaite être édité, c’est une étape qui me parait nécessaire. 

Dans une béta-lecture, on confronte son roman à des regards extérieurs ce qui permet de repérer ce qui fonctionne et les points d’amélioration. Certains éléments objectifs peuvent être observés : la construction de l’intrigue, les points de vue … D’autres sont beaucoup plus subjectifs et tiennent aux ressentis des lecteurs. Cela permet de juger des effets de notre récit : a-t-on provoqué les émotions que l’on souhaitait ? Le récit est-il palpitant ? …
Une béta-lecture très approfondie va faire ressortir tous les endroits problématiques pour ces lecteurs : une difficulté de compréhension de l’intrigue, des questions qu’on se pose, des personnages peu convaincants, des descriptions peu claires ou trop lourdes. 

La réception de la béta-lecture par l’auteur/autrice est un moment qui peut être émotionnel. Il est parfois difficile d’accepter l’énorme liste de “défauts” relevés. Cependant, l’auteur/autrice a la main sur son oeuvre ; c’est lui/elle qui la connait le mieux et c’est lui/elle qui prend la décision finale. Tout n’est pas à garder dans une béta-lecture. 

Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir des béta-lectures qui m’ont toujours poussé à porter mon texte vers sa meilleure version. Quand je fais une béta-lecture, je suis attentive à tous les détails (on pourrait même dire que je suis pointilleuse 🙂) et je relève tous les éléments qui me paraissent problématiques. Mais je tiens à réagir positivement à des passages qui sont vraiment réussis, car, émotionnellement, cela peut-être difficile à supporter de voir tous les “défauts” de son récit mis en évidence ainsi. 

PAMMY - Chérie, tu le dis si rester sur mon plateau ne t’intéresse pas. J’ai presqu’envie de faire une bêta-lecture de ta prestation actuelle. Trop longue. Trop pompeuse. Pas assez glam, pas assez Pam !

Elle mime un bâillement sonore et caricatural sous l’œil médusé de l’invitée, déclenchant une salve de rire de la part du public.

PAMMY - Très bien, maintenant que tu as planté le décor avec trop de mots pour décourager un correcteur, revenons-en à nos gloss et remettons une Pammy au centre du village. Tout le monde ne souhaite pas être édité. Tout le monde n’écrit pas pour l’être. Élargissons donc la discussion à cet ensemble plutôt qu’à ce microcosme éditorial bien trop étroit à mon goût. Compris ?

Elle n’attend pas la réponse et continue.

PAMMY - Puisque c’est si génialissime que ça, peux-tu nous dire comment trouver un bêta-lecteur ? 

FEYDRA - Un petit rappel en passant : la béta-lecture est certes une étape essentielle dans le parcours éditorial d’un texte, mais c’est aussi chaque auteur qui choisit d’en avoir une en son âme et conscience. Si l’on ne veut pas être publié, pas besoin de béta-lecture, à moins qu’on ressente un besoin d’aide pour parfaire notre oeuvre. Tout est une question de choix et d’envie personnelle.

Le choix du béta-lecteur fait aussi partie de ce processus. Plusieurs possibilités existent. On peut rechercher un(e) professionnel(le) qui propose des services de béta-lecture payants. Je n’en ai jamais utilisé, mais je sais qu’il faut bien faire ses recherches avant de choisir un pro : il n’y a aucun diplôme, ni aucune formation pour cette prestation, on peut donc trouver des gens plus ou moins professionnels et rigoureux dans leurs retours. 

Les commentaires sur les sites de publication en ligne sont parfois une forme de béta-lecture. 

Certains auteurs font des appels sur les réseaux sociaux pour recevoir de l’aide d’autres personnes pour des béta-lectures bénévoles. 

Enfin, les communautés d’auteurices sur internet (comme L’Allée des Conteurs 😁) peuvent s’entraider en échangeant des béta-lectures. 

On peut aussi demander à des ami(e)s ou à sa famille, s’ils sont intéressés, mais certaines personnes ne le recommandent pas, car, en étant proche de la personne, on peut avoir du mal à exprimer des choses négatives sur le texte. D’un autre côté, un ami, auteur ou pas, qui connait bien notre style et n’a pas peur de nous pointer les points d’amélioration, avec qui on est à l’aise, peut être un bon béta-lecteur. 

PAMMY - veux-tu-bien-arrêter-d’anticiper-mes… QUESTIONS !

Pam fixe Feydra de son regard profond. Celui qui parle sans rien dire. Celui qui médite sans penser. Celui qui fusille sans froncer un poil de sourcil. Un temps passe, finissant par achever la patience de l’invitée, qui secoue la jambe, prise d’un soudain malaise. 

PAMMY - Avant de revenir sur la publication en ligne et l’impact d’un lecteur, j’aimerai avoir une petite réflexion au sujet de ces bêtas-lecteurs dits… Pros ? Comment se considérer professionnel sans qualification ? Sur quel critère baser des tarifs ? N’est-ce pas… hasardeux ? N’est-ce pas profiter d’une demande réelle pour vendre des services biaisés ?

FEYDRA - En fait, le mot professionnel veut simplement dire qu’ils se font payer pour leur service. La plupart sont des auteurs ou des professionnels de l’édition, qui donc sont supposés avoir une bonne maîtrise de l’écriture. Mais là encore, c’est très aléatoire. Ce sont des auto-entrepreneurs, ils choisissent donc leurs tarifs (souvent à la page). J’imagine qu’ils se basent sur les autres béta-lecteurs ou bien sur leur propre estimation de la valeur de leur travail.

Pammy fait mine d'ouvrir la bouche pour répliquer à cette énième tartine inintéressante, mais, comble du culot, sa pédante invitée reprend sa litanie en feignant de ne remarquer ni le regard outré de la star ni les exclamations effarées du public.

FEYDRA - Ils fournissent des prestations de très grande qualité, avec de nombreuses heures de travail sur le manuscrit, des retours très détaillés et rigoureux sous forme de fiches. Donc, on peut imaginer que comme tout travail, cela mérite un salaire.
Comment choisir un prestataire ? C’est compliqué. Un auteur qui veut obtenir ce genre de service doit se fier au bouche à oreille et aux retours des autres clients pour savoir si le prestataire correspond à ses attentes.

PAMMY - Admettons, admettons… Je pense tout de même qu’il y a là une certaine forme de profit basé sur la crédulité de beaucoup d’auteurs, d’autrices, qui espèrent se voir “édités” un jour sans chercher plus loin sur ce que signifie vraiment le fait d’être éditée…  Je veux dire, regarde ça !

Elle dessine les courbes de son corps avec le bout de ses doigts limés, et fait un clin d’œil au public pour encourager son geste.

PAMMY - Y vois-tu un besoin de Bêta lecture ? Moi non. 

FEYDRA - N... non, non bien sûr.

Feydra jette un coup d'œil circulaire, balayant le plateau, le public, les recoins des coulisses qu'on aperçoit à peine. Comment enchaîner sans vexer la diva ?

FEYDRA - Mais tout n'est pas aussi parfait que toi, Pam, surtout pas du premier coup.

PAMMY - C’est un fait, dit enfin l’animatrice de sa voix cristalline. C’est évident que personne, tu m’entends, personne ne peut approcher la perfection qui me caractérise. Je l’ai toujours dit, et je suis bien là pour faire en sorte de donner gloire et glamour dans votre monde grisâtre… Par contre, on est d’accord que la publication en ligne permet justement de poster ses œuvres sous le regard sans charme mais critique des lecteurs. N’est-ce pas déjà une forme de Bêta-lecture que de publier ses œuvres aux regards des gens sur internet ? Le lecteur ne prend-il pas déjà une casquette de Bêta-lecture sans le vouloir ? donc la Bêta Lecture est-elle tout de même importante dans le monde de la publication en ligne ? 

FEYDRA - Oui, je pense qu’en publiant sur les plateformes de publication en ligne, on obtient quelque chose de très similaire. Le simple fait de confronter son texte au lecteur donne à l’auteur un retour sur les effets de son texte, les incompréhensions, les passages qui plaisent … 

Cependant, tous les lecteurs ne font pas des retours de béta-lecture : exprimer à quel point on a aimé un passage, détesté un personnage, réagir émotionnellement à un chapitre n’est pas vraiment de la béta-lecture. Des commentaires qui relèveront des passages incohérents ou des choses qu’ils n’ont pas comprises, ou qui donnent des conseils pour améliorer certains points d'achoppement seront plus proches des commentaires de béta-lecture. Ces deux types de commentaires sont extrêmement précieux pour un auteur, à mon avis. 

Pour répondre à ta dernière question, je pense que la béta-lecture n’est pas forcément nécessaire ou importante pour une publication en ligne. On peut publier des premiers jets (corrigés) sur les plateformes en ligne, car justement, la confrontation avec les lecteurs apportent beaucoup à l’auteur. Et puis, on peut aussi avoir envie de publier ses écrits spontanés, sans les retravailler, pour faire découvrir aux lecteurs nos textes bruts. Chaque auteur est libre de choisir ce qu’il veut pour son texte. 

PAMMY - Donc une question de choix…

Pammy susurre sa phrase, zieute ses fiches et reprend : 

PAMMY - Dis-moi, toi qui aimes étaler ta science (nouveaux rires dans le public), le bêta-lecteur est-il parole de vérité ? Quand je parle, on m’écoute, on suit mes ordres, tu vois. Sans poser de question. Car JE suis la meilleure. 

FEYDRA - Le béta-lecteur ne possède aucune vérité, car finalement, en écriture, il y a autant de vérités que d’auteur, n’est-ce pas ? Je dirais que le seul domaine où on peut être objectif, c’est sur des questions de grammaire et d’orthographe, mais c’est plus de l’ordre de la correction que de la béta-lecture pure.
Dans une béta-lecture, on ne fait que donner un point de vue, son regard de lecteur sur un texte. On n’est pas censé se poser en donneur de leçons. On peut toutefois apporter son expérience, tout en sachant que nos conseils ne seront pas forcément suivis. On n’est pas censé non plus réécrire à la place de l’auteur, même si on peut faire des propositions d’amélioration. 
L’auteur garde la main sur son texte ; c’est lui qui décide de ce qu’il accepte de modifier ou non. C’est là qu’est la difficulté pour lui : quand écoute-t-on le conseil d’un béta-lecteur et quand le laissons-nous de côté ?
Je pense que pour vraiment bénéficier au mieux d’une béta-lecture, il faut avoir une certaine confiance en soi et en son texte, pour accepter des remarques qui nous place parfois face à ses faiblesses.
Quand je lis des retours de béta-lecture, je me dis parfois : “Ah oui ! Là, effectivement, je suis d’accord, j’aurais pu rendre la description plus haletante” et parfois, c’est plutôt : “non, je suis très contente de ce passage ; je le laisse tel quel, car les remarques faites ne me paraissent pas pertinentes.” Il faut donc procéder à un tri.
Quoi qu’il arrive, grâce à ces retours, j’ai toujours réussi à créer une meilleure version de mes textes, de mon point de vue à moi, car c’est le seul qui compte, à la fin. 

C’est aussi pour cela qu’il peut être intéressant d’avoir plusieurs béta-lectures, pour confronter des points de vue variés. 

En conclusion, c’est l’auteur ou l’autrice qui a le dernier mot, car cela reste son texte, son univers, son style. Et un béta-lecteur ne doit pas oublier cela quand il lit le texte de quelqu’un, tout comme l’auteur ne doit pas l’oublier quand il accueille les retours de béta-lecture. 

PAMMY - En conclusion…En conclusion… Je t’en donnerai des “en conclusion”...

Vexée, Pammy croise les jambes, pince les lèvres, dégaine son miroir de poche et inspecte son visage à la recherche d'imperfections inexistantes. Pour finir, elle s’ébouriffe les cheveux et se retourne vers Feydra.

PAMMY - Je tiens à dire que tu as été l’une de mes pires invitées. A la fois indisciplinée, bien trop bavarde et toujours à me prendre de haut. JE suis la seule à pouvoir dire que nous concluons, ok ? JE suis la seule à pouvoir donner le clap de fin. Donc, en conclusion, aurais-tu quelque chose à rajouter à tout ton laïus bien trop verbeux  ?

Feydra offre un sourire gêné à son hôtesse, puis au public. 

FEYDRA - Non, j’ai fait le tour de la question. Merci pour ton accueil pailleté, Pammy. Ce fut un … plaisir. 

PAMMY - Plaisir non partagé ! Et c'est ainsi que ce termine ce quatrième épisode, aussi pop que glam ! La bize aérienne mes chéris ! Rendez-vous en avril pour un noveau numéro !

FIN

 Afin de discuter de l'émission et pour que Pammy puisse répondre efficacement, merci de privilégier le forum et le topic réservé à l'émission : https://www.alleedesconteurs.fr/forums/viewtopic.php?f=449&t=7187